Matérialisme dialectique et émancipation, avec les Principes élémentaires de philosophie de Georges Politzer
Politzer nait en Hongrie en 1903, il quitte ce pays qui persécutait son père a 17 ans et arrive en France.
Il apprend le français en lisant Diderot et Voltaire, compagnon de Jacques Salomon, il est un spécialiste de la physique théorique, avant de rencontrer le marxisme. A l’Université Ouvrière de Paris, il enseigne le matérialisme dialectique. S’intéressant à la psychologie, s’il semble d’abord séduit par la psychanalyse de Freud, car elle présente l’étude de l’homme vivant entier, il finit par le contester et s’en sépare, dans Critique des fondements de la psychologie.
Il devient journaliste, rédacteur en chef de l’Humanité, puis est mobilisé a paris durant la guerre, arrêté en 1942 et fusillé par les nazis, en tant que résistant. A partir de 1940, lors de sa démobilisation il participait à l’édition d’un bulletin clandestin à destination de l’université. Le livre Principes élémentaires de philosophie est publié après la mort de Politzer, d’après les textes et les notes d’un de ses élèves prises durant les cours qu’il donnait à l’université ouvrière entre 1935 et 1936. Il se présente en 6 parties : Les problèmes philosophiques, le matérialisme philosophique, étude de la métaphysique, étude de la dialectique, matérialisme historique, matérialisme dialectique et idéologies.
Pourquoi étudier la philosophie ?
L’œuvre introduit cette question importante à laquelle répond ainsi Politzer :
« Pourquoi ? Parce que le marxisme est intimement lié à une philosophie et à une méthode : celles du matérialisme dialectique. Il est donc indispensable d'étudier cette philosophie et cette méthode pour bien comprendre le marxisme et pour réfuter les arguments des théories bourgeoises autant que pour entreprendre une lutte politique efficace »
La pratique c’est réaliser la théorie c’est connaitre ce que nous voulons réaliser.
Il part de l’idée reçue que la philosophie serait une chose inaccessible pour la classe ouvrière qu’elle est liée a la bourgeoise, ainsi il reprend des définitions qu’il estime fausses, notamment la confusion autour du mot matérialisme, qui définirait une obsession pour les biens matériels, pourtant l’idée que la matière prime ne signifie nullement qu’on veut s’enrichir par les bien matériels, mais que les idées viennent de l’observation de la matière, de ses transferts et pratiques de transferts de valeurs entre humains. On note que ce fonctionnement n’est pas nouveau qui est celui de la bourgeoisie, tendant à donner des définitions fausses des courants de pensées qui s’opposent à elle, alors qu’elle détient les moyens de l’information, ainsi ce qui se transfère est aussi la tromperie.
L’ignorance des hommes pour expliquer la nature, est comblée par la science, pourtant on trouvait des explications métaphysiques, ainsi se présente le primat de l’idée : les religions, qui tendent à expliquer de manière transcendantale ce que l’homme n’est pas encore capable de comprendre par la science et ainsi créent le dogme. C’est ainsi également que le primat de l’idée assujettit les peuples, leur donnant à penser que l’exploitation de l’homme par l’homme serait dans l’ordre des choses, sans lui donner les moyens de savoir, de s’émanciper par la connaissance.
« On ne peut pas lutter pour le pain sans lutter pour la paix » dit Politzer en citant Marx,
L’importance de la philosophie matérialiste marxiste s’inscrit pour Politzer dans la lutte des classes et l’émancipation de la classe ouvrière. Politzer cite et oppose deux courants de philosophie : idéalisme et matérialisme. Le sens philosophique d’idéalisme et matérialisme renvoie au primat d l’idée, et au primat de la matière. Là où le matérialisme dit que les choses du monde se comprennent par l’observation de la matière (la science), l’idéalisme postule une création divine du monde qui se transmet, et devient vérité pour ceux qui croient en ce dogme. Selon les idéalistes ce serait donc l’esprit qui a créé la matière.
Politzer oppose ces deux concepts de manière très simple : le matérialisme explique le monde par la science, l’idéalisme, par la religion. S’il est important pour Politzer d’adhérer à une philosophie matérialiste, c’est qu’elle permettra l’émancipation de la classe des travailleurs, des exploités. L’idéalisme aliène, il ne permet pas la critique puisqu’il affirme sa vérité transcendantale, celle qui dit que les empereurs et les rois le sont de droit divin.
Le matérialisme permet une compréhension scientifique des choses du monde, incluant la réalité des rapports sociaux et des transferts de valeurs. Contre toutes les philosophies idéalistes, parce que leurs conclusions aboutissent à affirmer la création de la matière par l'esprit, c'est-à-dire, en dernière instance, à affirmer l'existence de Dieu et à soutenir les théologies, les matérialistes, s'appuyant sur les sciences, affirment et prouvent que c'est la matière qui crée l'esprit et qu'ils n'ont pas besoin de l’ « hypothèse Dieu » pour expliquer la création de la matière.
L’idéalisme et l’agnosticisme :
L’idéalisme nie l’existence de la matière. Berkeley, qui est un philosophe et évêque irlandais, prétend qu’il est paradoxal d’affirmer le contraire. Il dit que la matière n'est pas ce que nous croyons en pensant qu'elle existe en dehors de notre esprit. « nous pensons que les choses existent parce que nous les voyons, parce que nous les touchons ; c'est parce qu'elles nous donnent ces sensations que nous croyons à leur existence. Mais nos sensations ne sont que des idées que nous avons dans notre esprit. Donc les objets que nous percevons par nos sens ne sont pas autre chose que des idées, et les idées ne peuvent exister en dehors de notre esprit ». Donc pour lui les choses existent mais seulement sous forme de sensations et ce qui nous intéresse : c’est le postulat de dire que ce sont nos idées qui créent les choses, ce sont les fondements de l’idéalisme, ce qui est en contradiction avec le primat de la pratique et du concret que représente le matérialisme.
L’agnosticisme
Les idéalistes modernes n’ont pas la franchise de Berkeley, explique Politzer en citant Lénine : « ils présentent leurs idées avec beaucoup plus d'artifice, sous une forme obscurcie par l'emploi d'une terminologie "nouvelle" destinée à les faire prendre, par des gens naïfs, pour la philosophie la plus moderne) » (Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, p. 9.). Alors que les deux grands courants s’opposent de manière irréconciliable, au 18ème siècle un nouveau courant vient semer le trouble, affirmant qu’il n’est pas nécessaire d’essayer de comprendre les choses de la nature car ce serait impossible, l’agnosticisme postule qu’il est possible de comprendre l’apparence des choses mais non leur réalité. Nos sens ; disent-ils, nous permettent de voir et de sentir les choses, d'en connaître les aspects extérieurs, les apparences ; ces apparences existent donc pour nous ; elles constituent ce qu'on appelle, en langage philosophique, la « chose pour nous ». Mais nous ne pouvons pas connaître la chose indépendante de nous, avec sa réalité qui lui est propre, ce qu'on appelle la « chose en soi ».
Cette philosophie, introduite par Hume et Kant essaye ainsi de concilier matérialisme et idéalisme. D’après Hume, l’existence de l’univers ne dépend pas de nous, nos sens nous permettent de constater son existence mais seraient incapable de faire le lien ente esprit et objet. Selon Politzer l’agnostique « prétend en fait que l’esprit n’est pas en mesure d’affirmer la réalité des choses qu’il perçoit, ce qui renvoie donc à un raisonnement idéaliste. […] En donnant peu de confiance en la science, l’agnosticisme permet le "retour des religions" ». Pourtant la pratique nous permet de voir que les choses existent dit Politzer : Reprenant la phrase d'Engels, nous dirons « la preuve du pudding, c'est qu'on le mange » (proverbe anglais). S'il n'existait pas, ou s'il n'était qu'une idée, après l'avoir mangé, notre faim ne serait nullement apaisée. L’agnosticisme ne fait que semer la confusion prétendant pouvoir réconcilier matérialisme et idéalisme, ce qui est impossible dans une compréhension du monde diamétralement opposée, induisant des conséquences fondamentales pour dans les rapports sociaux.
Le matérialisme scientifique :
Pour mieux comprendre ce qu’est le matérialisme scientifique, Politzer explique simplement ce qu’est la matière, à partir des avancées de la science. Reprenons ce qui était dit dans le chapitre précédent : la critique des erreurs de la science par les agnosticistes. La science se base pourtant sur l’observation pratique. Elle élabore des théories face à cette observation, et propose des hypothèses. Les avancées techniques, propres de la science permettent d’améliorer l’observation afin de valider ou non les hypothèses.
L’observation de la matière permet aux matérialistes de percevoir, et de répondre à la question de savoir comment est la matière : elle est une réalité extérieure, qui n’a pas besoin de l’esprit pour exister. La matière existe, et est en mouvement, dans le temps et dans l’espace.
Par exemple la définition de la matière a évolué entre l’antiquité grecque ou on pense juste a quelque chose de solide qu’on peut toucher, ensuite la propriété des électrons fait dire aux idéalistes que la matière n’existe pas. Lénine dans matérialisme et empiriocriticisme « remit les choses au point en montrant qu'énergie et matière ne sont pas séparables. L'énergie est matérielle, et le mouvement n'est que le mode d'existence de la matière ».
Matérialisme dialectique
Politzer montrera ensuite comment cette philosophie matérialiste « en devenant dialectique, s’identifie avec le marxisme ». Être partisan du matérialisme dans le domaine de la pensée, c'est, connaissant la formule fondamentale du matérialisme : l'être produit la pensée, savoir comment on peut appliquer cette formule. Il est important d’être matérialiste dans l’action comme dans la pensée. Politzer l’explique par l’exemple : un vétérinaire qui soigne un cheval s’intéresse à ce cheval en particulier, pas à la catégorie cheval en général. Chaque être vivant est particulier, ainsi que l’est la pensée. Ce qui nous intéresse à l’APPS, pour accompagner les personnes, dans leur histoire en particulier et rattachée à l’histoire générale, aux conditions matérielles.
Le matérialiste est celui qui sait reconnaître dans toutes les situations, qui sait concrétiser où est l'être et où est la pensée. Il nous faut savoir transformer la formule générale abstraite en une formule concrète. Le matérialiste identifiera donc le cerveau comme étant l'être et nos idées comme étant la pensée. Il raisonnera en disant: c'est le cerveau (l'être) qui produit nos idées (la pensée). C'est là un exemple simple, mais prenons l'exemple plus complexe de la société humaine et voyons comment raisonnera un matérialiste.
Politzer dit que la bourgeoisie n’aime pas l’histoire du matérialisme. Cette histoire est incomplète et fausse dans ce qui est enseigné dans les livres bourgeois. « Parce que l'histoire du matérialisme est particulièrement instructive pour connaître et comprendre les problèmes du monde ; et aussi parce que le développement du matérialisme est funeste aux idéologies qui soutiennent les privilèges des classes dirigeantes ».
Avant Marx, dès l’antiquité grec le matérialisme est lié aux sciences, Héraclite, que l'on appelle le père de la dialectique, disait : « Rien n'est immobile ; tout coule ; on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, car il n'est jamais, en deux instants successifs, le même : d'un instant à l'autre, il a changé ; il est devenu autre ».
La théorie d’Épicure est falsifiée au Moyen Age, présentée comme une doctrine profondément immorale, comme une apologie des plus basses passions. En réalité, Épicure était un ascète et sa philosophie vise à donner un fondement scientifique (donc anti-religieux) à la vie humaine. L’antiquité est plutôt influencée par Aristote qui est idéaliste.
Le matérialisme se développe en France et surtout en Angleterre :
Avec Bacon, fondateur de la méthode expérimentale : pour lui les idées arrivent parce qu’on peut toucher les choses ; par exemple on fabrique une table parce que des hommes se sont servi du tronc d’un arbre pour faire une table. En France c’est avec Descartes qu’on voit l’apparition d’une courant matérialiste, s’attaquant à l’idéologie féodale. Après Diderot, que Politzer présente comme le plus grand penseur matérialiste avant Marx et Engels, dont Lénine dira qu’il « arrive presque aux conclusions du matérialisme contemporain » (dialectique), en Allemagne, Feuerbach développe essentiellement une critique de la religion. Les grandes découvertes (la cellule vivante, la transformation de l’énergie, l’évolution) permettent à Marx et Engels de faire évoluer le matérialisme vers le matérialisme dialectique.
Alors que Politzer présente les défauts du matérialisme pré-marxiste, durant cette période, les scientifiques voient le monde comme une grande mécanique, et ignorent l’histoire, ils voient le mouvement au sens strict, métaphysique. La grande erreur a été en cette période de considérer le monde comme une grande mécanique, de juger toute chose d'après les lois de cette science qu'on appelle la mécanique. Considérant le mouvement comme un simple mouvement mécanique, on estimait que les mêmes événements devaient se reproduire continuellement. On voyait le côté machine des choses, mais on n'en voyait pas le côté vivant. Aussi appelle-t-on ce matérialisme : mécanique (ou mécaniste).
Une des plus grandes erreurs de ce matérialisme est donc d’ignorer l’histoire. Le défaut des matérialistes au 18ème est qu’ils ont une forme de raisonnement métaphysique : ils pensent le mouvement au sens strict comme une pierre qui roule, et pensent que d’abord vient l’immobilité, le repos, puis le mouvement. Or mouvement signifie changement, de forme ou d’état. Entendant l’univers comme étant figé, comme si l’homme ne changeait pas aussi, ce matérialisme métaphysique conduit la bourgeoisie à exploiter cette erreur. Par conséquent, quand on affirme qu'une société socialiste ou communiste n'est pas viable parce que l'homme est égoïste, on oublie que si la société change, l'homme aussi changera. La métaphysique considère aussi la nature comme un ensemble de choses définitivement fixées. Mais ce n’est pas si simple, la terre tourne c’est un mouvement mécanique, mais elle subit aussi des changements, comme le refroidissement.
Ce qui est important pour nous est de voir les erreurs de la conception métaphysique de la société :
La conception métaphysique veut que rien ne change dans la société. Mais, en général, on ne présente pas cela tel quel. On reconnaît qu'il se produit des changements, comme dans la production lorsque, à partir des matières brutes, on produit des objets finis ; dans la politique, où les gouvernements se succèdent les uns aux autres. Les gens reconnaissent tout cela, mais ils considèrent le régime capitaliste comme définitif, éternel, et le comparent même parfois à une machine. C'est ainsi que l'on parle de la machine économique qui se détraque parfois, mais que l'on veut réparer pour la conserver. Cette machine économique, on veut qu'elle puisse continuer à distribuer, comme un appareil automatique, aux uns des dividendes, aux autres la misère.
Concernant la pensée, on entend dire que les désirs des hommes sont toujours les mêmes, ce qui pousse à imaginer une société toujours construite sur la base de désir individuel et égoïste, et il est difficile de se défaire de cette méthode de pensée.
Selon la logique il y a trois grandes règles principales qui sont :
Le principe d'identité : l’idée qu’une chose ne peut pas changer, le principe de non-contradiction. Une chose ne peut pas être en même temps elle-même et son contraire, et le principe du tiers exclu : entre deux possibilités contradictoires, il n'y a pas place pour une troisième. La conception métaphysique est donc construite avec la logique et le syllogisme. Un syllogisme est un groupe de trois propositions ; les deux premières sont appelées prémisses, ce qui veut dire « envoyées devant » ; et la troisième est la conclusion. Autre exemple : « En Union soviétique, avant la dernière Constitution, existait la dictature du prolétariat. La dictature, c'est la dictature. En U.R.S.S. c'est la dictature. Donc, il n'y avait aucune différence entre l'U.R.S.S., l'Italie et l'Allemagne, pays de dictature ». C’est ainsi qu’on arrive à une conception dangereuse et dogmatique, qui arrange la bourgeoisie, tendant à empêcher la classe ouvrière d’accéder à l’analyse des situations concrètes.
La dialectique :
Nous savons que la métaphysique considère le monde comme un ensemble de choses figées et qu'au contraire, si nous regardons la nature, nous voyons que tout bouge, que tout change. Nous constatons la même chose pour la pensée. Il résulte donc de cette constatation un désaccord entre la métaphysique et la réalité. C'est pourquoi, pour définir d'une façon simple et donner une idée essentielle, on peut dire : qui dit « métaphysique » dit « immobilité », et qui dit « dialectique » dit « mouvement ». Le mouvement et le changement qui existent dans tout ce qui nous entoure sont à la base de la dialectique. Ce qui est trompeur ce n’est pas le mouvement mais au contraire l’immobilité. Les sociétés ne sont pas immobiles, au contraire, tout est en mouvement. La conception dialectique est née tôt, mais les hommes n’avaient pas les connaissances nécessaires, et elle évolue avec la méthode métaphysique, insuffisante de connaissance des sciences.
Politzer présente les 4 lois de la dialectique, on verra ainsi comme elles diffèrent des lois de la logique.
1ère loi : Le mouvement dialectique
La première loi de la dialectique commence par constater que « rien ne reste là où il est, rien ne demeure ce qu'il est ». Qui dit dialectique dit mouvement, changement, donc étudier les choses du point de vue de la dialectique signifie simplement les étudier dans leurs mouvements et changements. Politzer explique que le matérialisme dialectique vient avec Marx et Engels, mais ce n’est pas simplement un ajout de la dialectique au matérialisme. Marx et Engels critiquent le matérialisme de Hegel, qui reste idéaliste : pour Hegel, l'inventeur a une idée, il réalise son idée, et c'est cette idée matérialisée qui crée des changements dans la matière. Hegel est donc bien dialecticien, mais il subordonne la dialectique à l'idéalisme.
Pour M et E, la dialectique de Hegel fonctionne à l’envers : « ils pensent que Hegel a raison de dire que la pensée et l'univers sont en perpétuel changement, mais qu'il se trompe en affirmant que ce sont les changements dans les idées qui déterminent les changements dans les choses. Ce sont, au contraire, les choses qui nous donnent les idées, et les idées se modifient parce que les choses se modifient ». Par exemple, nous ne sommes pas passé de la diligence au train parce qu’on a eu l’idée de voyager en train. Politzer donnera aussi l’exemple de la pomme et de l’arbre, qu’on étudie dans leurs mouvements : la pomme peut être décrite par sa forme, sa couleur, c’est un fruit, différent des autres fruits, ceci est la description métaphysique. Mais la pomme est en mouvement : pas dans le sens mécanique où elle tombe et roule, mais elle évolue, elle était une fleur, un bourgeon, elle peut tomber et pourrir, donner des pépins qui donneront d’autres pommes et ainsi de suite. On peut remonter à l’histoire de l’arbre, on étudie donc les choses selon passé présent et avenir. Ce qu’on peut en déduire est que la société évolue, elle n’est pas figée. Ce n’est pas l’homme qui est égoïste qui a fatalement créé la société capitaliste, c’est cette société qui rend des hommes égoïstes ; la société formate aussi les personnes à l’individualisme, puis cela crée de la souffrance dans le mental. Il est important de rappeler que d’autres modèles ont existé : il n’y a pas toujours eu des riches et des pauvres, il existait autre chose avant la société capitaliste.
Pour illustrer l’analyse des transformations, après l’exemple de la pomme et de l’arbre, Politzer explique la différence entre la pomme et le crayon : la fleur donne la pomme, la pomme va devenir verte, si tout va bien, sinon elle va tomber et pourrir, si une phase est donnée (rester dans l’arbre ou tomber), l’autre phase va obligatoirement suivre. Ce n’est pas le cas avec le crayon : l’arbre ne va pas obligatoirement se transformer en planche, et la planche en crayon, s’il est créé le crayon pourra ne pas être utilisé. La différence est la main de l’homme : « les phases se juxtaposent, sans découler l'une de l'autre ». Le processus qui implique les phases qui vont obligatoirement faire se transformer la pomme s’appelle l’auto-dynamisme. Il n’existe pas dans la transformation faite par la main de l’homme qui est changement mécanique. Concernant la société et ses possibles changements, Politzer précise alors : « Nous devons donc faire bien attention lorsque nous parlons du changement dialectique. Nous pensons que si la terre continue d'exister, la société capitaliste sera remplacée par la société socialiste, puis communiste. Ce sera un changement dialectique. Mais, si la terre saute, la société capitaliste disparaîtra non par un changement auto-dynamique, mais par un changement mécanique ».
2ème loi : L’action réciproque
En prenant l’exemple de l’université ouvrière, Politzer la présente comme « non seulement le « fruit » du prolétariat, mais aussi le « fruit » de la société capitaliste. » C’est une université pour enseigner le marxisme, le marxisme existe parce que le prolétariat existe, le prolétariat existe parce que la société capitaliste existe, c’est ce qu’on appelle action réciproque et c’est en cela aussi qu’il peut postuler un changement dialectique de la société capitaliste vers communiste. Attention aussi à ne pas attendre les choses de manière fatale si on prévoit un changement avec la dialectique: « car, comme dit Marx, pour faire accoucher la société socialiste, il faudra un accoucheur ». D'où la nécessité de la révolution, de l'action. Les grandes découvertes et l’évolution conduisent à l’abandon de l’esprit métaphysique. Or l’évolution « permet de comprendre que la vie est faite d'une succession de morts et de naissances et que tout être vivant est une association de cellules. Cette constatation ne laisse alors subsister aucune frontière entre les animaux et les plantes et chasse ainsi la conception métaphysique ». Ainsi si on reprend la pomme, ce n’est pas l’arbre qui donne la pomme puis la pomme qui donne l’arbre, mais l’arbre donne plusieurs pommes et le changement d’état de la pomme donne plusieurs arbres, ce développement est en spirale et non en cercle.
3ème loi : la contradiction
« Mais quelles sont maintenant les lois de l'auto-dynamisme ? Quelles sont les lois qui permettent aux phases de sortir les unes des autres ? C'est ce que l'on appelle les « lois du mouvement dialectique ». La dialectique nous apprend que les choses ne sont pas éternelles : elles ont un commencement, une maturité, une vieillesse, qui se termine par une fin, une mort ». Les choses se transforment en leur contraire, la vie se transforme en la mort, mais la mort se transforme aussi en la vie, Les cellules reviennent à la même place dans le corps alors que des cellules meurent. On remarque aussi qu’après la mort les ongles et cheveux continuent de pousser. Par ailleurs chaque chose contient à la fois son contraire, deux forces luttent, poussant dans des direction opposées, hors et dans le cercle. « Donc la dialectique constate le changement, mais pourquoi les choses changent-elles ? Parce que les choses ne sont pas d'accord avec elles-mêmes, parce qu'il y a lutte entre les forces, entre les antagonismes internes, parce qu'il y a contradiction. Voilà la troisième loi de la dialectique : les choses changent parce qu'elles contiennent en elles-mêmes la contradiction ».
La contradiction dialectique est dans les faits, L’exemple de la société capitaliste ne signifie pas que certains y disent oui et certains y disent non, mais qu’il y a des forces réelles qui se combattent. « La bourgeoisie ne peut pas exister sans son contraire, le prolétariat », disait Marx. Ce qui peut être compliqué à comprendre car on sort de la métaphysique, à laquelle on est habitué. Reprenons alors l’exemple connu de la poule : « Une chose commence par être une affirmation qui sort de la négation. Le poussin est une affirmation issue de la négation de l'œuf. Cela est une phase du processus. Mais la poule sera à son tour la transformation du poussin et, au cœur de cette transformation, il y aura une contradiction entre les forces qui luttent pour que le poussin devienne poule et les forces qui luttent pour que le poussin reste poussin. La poule sera donc la négation du poussin, qui venait, lui, de la négation de l'œuf. La poule sera donc la négation de la négation. Et cela est la marche générale des phases de la dialectique ». On appelle aussi l’affirmation thèse la négation antithèse, et la négation de la négation synthèse. Et on voit aussi les phases, par la négation de ce qui a précédé :
« Le féodalisme a été la négation de l'esclavagisme. Le capitalisme est la négation du féodalisme. Le socialisme est la négation du capitalisme ». C’est ce qu’on appelle l’unité des contraires : il n’y a pas d’ignorance sans science, pas ignorance absolue. Pour la société, il ne peut pas exister de bourgeoisie sans prolétariat, vouloir que tout le monde possède et donc deviennent bourgeois est impossible. Pour une société sans classe il faut supprimer bourgeoisie et prolétariat.
4ème loi : transformation de la quantité en qualité ou loi du progrès par bonds
Réforme ou révolution ? La question est souvent posée. Politzer rappelle que toute transformation est le résultat de lutte de forces opposées. Soit on pense que la société peut se transformer petit à petit, et que la nature ne fait pas de saut, de bond. Il y a pourtant des brusques changements, dans les phases de l’histoire, que certains appellent juste des accidents. Pourtant, la dialectique pense que les révolutions sont nécessaires, et que l’accumulation de changements continus finit par produire des changements brusques, et se demande quel rôle nous jouons dans ces changements brusques. C’est ce que Politzer va expliquer, avec le matérialisme historique.
Matérialisme historique : d’où viennent les classes et les conditions économiques ?
Contrairement à ce que prétendent les idéalistes, les guerres ne sont pas l’œuvre de dieu, les hommes font l’histoire, les idées sont importantes mais il faut savoir d’où elles viennent. Selon Politzer ce ne sont pas les idées qui font les actions des hommes. La grande révolution n’est pas née des idées des philosophes. La question est de savoir pourquoi ces idées sont reprises par les masses. Le cerveau est une condition nécessaire pour penser et la classe ouvrière lutte pour le renversement du capitalisme, le cerveau explique le fait matériel d’avoir les idées mais pas pourquoi on a telle idée plutôt que telle autre. D’apres Marx, « Ce n'est donc pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est, inversement, leur être social qui détermine leur conscience ».
L’être c’est ce que nous sommes, la conscience c’est ce que nous voulons. Les idées viennent de conditions matérielles : on n’est pas un bourgeois parce qu’on a l’idée de l’être mais on a une idée de bourgeois parce qu’on est bourgeois, de même pour la classe ouvrière. Les hommes agissent parce qu'ils ont certaines idées. Ils doivent ces idées à leurs conditions d'existence matérielles, parce qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre classe. Cela ne veut pas dire qu'il y a seulement deux classes dans la société : il y a une quantité de classes, dont deux principalement sont en lutte : bourgeoisie et prolétariat.
La division du travail
Politzer présente l’enchainement du communisme primitif vers le capitalisme :
-Division entre tribus sauvages et pasteurs (première division du travail : maîtres, esclaves).
-Division entre les agriculteurs et les artisans de métiers (deuxième division du travail).
-Naissance de la classe des marchands (troisième division du travail) qui
-Engendre les crises commerciales périodiques (capitalisme).
Il y a contradiction entre le travail devenu social, collectif, et la propriété restée individuelle. Et alors, avec Marx, nous dirons : De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale. Nous retrouvons donc là les caractères et les grandes lois générales de la dialectique, c'est-à-dire :
-L'interdépendance des choses et des faits.
-Le mouvement et le changement dialectique.
-L'auto-dynamisme.
-La contradiction.
-L'action réciproque.
Idéologie
Il n’y a pas un refus de l’idéologie, dans le matérialisme dialectique mais la question est de savoir où on le place. Ce qui est critiqué est le primat de l’idée : Nous voyons que, pour les matérialistes, la structure idéologique est l'aboutissement, le sommet de l'édifice social, tandis que, pour les idéalistes, la structure idéologique est à la base.
L’ouvrage conclut avec l’idée de la fausse conscience : si on imagine que les conditions matérielles créent les idées, on supposerait que tous les ouvriers ont une conscience de classe, mais ce n’est pas le cas, et c’est une conscience fausse induit par la bourgeoisie. Enfin, ce que nous apprennent ces principes élémentaires, dans notre pratique, c’est de partir du concret, du récit que fait la personne que nous recevons en tant qu’analyste praticien, du drame qui se joue dans son histoire personnelle, et dans ses rapports sociaux. C’est dans l’analyse des contradictions et des poussées contraires, de ce qui se transfert du social dans le mental, à l’opposé du dogme de la psychologie classique, que la dialectique nous apporte un savoir, nécessaire à l’accompagnement, ce qui fut également défini par Politzer dans sa Critique des fondements de la psychologie (1928).
Luka Mongelli
Illustration : Francis Bacon
1. « l'Université Ouvrière avait été fondée en 1932 par un petit groupe de professeurs pour enseigner la science marxiste aux travailleurs manuels et leur donner une méthode de raisonnement qui leur permette de comprendre notre temps et de guider leur action, aussi bien dans leur technique que dans le domaine politique et social ». Extrait de la préface du livre, par Maurice le Goas
2. Métaphysique vient du grec meta, qui veut dire « au-delà », et de physique, science des phénomènes du monde.
3. Karl Marx : Préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, p. 4, Éditions sociales, 1947.
4. Karl Marx : Préface à la Contribution à la critique de l'économie politique, Ibid.
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