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Du rat, la peste



Parmi les Terriens, une espèce remarquée, celle des rats n’a pas bonne réputation chez les humains.

Cela correspond sans doute au fait qu’il porte une maladie synonyme de mort et de ruine pour ces dits-humains, la peste, et que circonstance aggravante, il porte cette maladie mortelle sans y succomber. C’est de ce fait un rat masqué, trompeur, à ne pas confondre avec le rat musqué qui ne porte que quelques leptospirose ou encore échinococcose exceptionnellement contagieuses chez l’humain. Nous saisissons dès lors pourquoi on ne s’attarde pas sur le « cocco" d’échinococcose contenu dans ce qu’il véhicule, d’autant qu’il est originaire d’Amérique du Nord et que circonstance atténuante, musqué vient de musc qui a pour origine le sanskrit muskâ qui veut dire testicule. Avec de telles lettres de noblesse, le rat masqué n’a qu’à bien se tenir.

Là est peut-être le secret qui fait qu’un certain nombre de souris ne peuvent vivre sans masque à rat au niveau de leurs paupières.

Un psychanalyste spécialiste de la lettre masquée a colporté le mythe que Freud arrivant par bateau aux Etats-Unis aurait dit, parlant des Américains : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste » Cette peste, la psychanalyse, portée par un psychanalyste rat masqué n’a pas fait long feu face au rat musqué de l’egopsychology de la 5ème avenue, celle qui défend que parmi les ego il y en a qui sont un peu plus ego que d’autres.

Antonin Artaud dans « Le Théâtre et la peste » ne parle pas de rats. Il nous parle d’un monarque, sensibilisé de ce fait aux virus les plus pernicieux, qui eut un rêve particulièrement affligeant ; il se vit pesteux et il vit la peste ravager son minuscule Etat. L’ordre social de son royaume tombe. Il entend en lui le murmure de ses humeurs déchirées qui se métamorphosent peu à peu en charbon. Mais ce monarque sait qu’on ne meurt pas dans les rêves, que la volonté y joue jusqu’à l’absurde, jusqu’à la négation du possible, jusqu’à une sorte de transmutation du mensonge dont on refait de la vérité. Il se réveille. Tous ces bruits de peste qui courent et ces miasmes d’un virus venu d’Orient, il saura se montrer capable de les éloigner. Il ordonne donc d’empêcher l’accostage d’un bateau venu de Beyrouth, Le Grand-Saint-Antoine, passant outre aux conventions internationales. Ce bateau arrivera à Marseille. Le Grand-Saint-Antoine n’apportera pas la peste dans la ville, elle était déjà là et même dans une période de grande recrudescence. Mais la peste de Marseille fut attribuée au navire car il représentait la peste orientale, le virus d’origine, et l’épidémie en devint psychologiquement plus atroce.

La peste est une crise qui montre le délire contagieux du mythe de l’origine, n’importe laquelle, et de l’attribution d’une faute à partir de cette origine. La peste comme le théâtre indique Artaud pousse les hommes à pouvoir se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber les masques, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie, invitant les collectivités à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure, qu’elles n’auraient jamais eu sans cela. Il est dit dans les contes de fée de l’Education Nationale que la peste accoucherait les nouvelles civilisations de la chute de Rome en 410 et de l’épidémie qui l’achève en 442 à la Grande Peste de 1347 en France…. Pensons plutôt avec Artaud dans cette conclusion où il peste avec force contre la bêtise, que « la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir, il se trouvera un noyau d’hommes capables d’imposer cette notion supérieure du théâtre, qui nous rendra à tous l’équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus »


Hervé Hubert

Article publié dans le webmagazine Corridor Eléphant en février 2015

Référence : Artaud A, Le théâtre et la peste, OC III, NRF, Gallimard, pp 15-31, Paris, 1978


Illustration : ©Jérôme Bosch


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