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Critique de la religion psychanalytique classique : la religion du désir II



La question du désir est au fondement de la psychanalyse. Nous avions vu dans l’article précédent que ce fondement marque aussitôt le règne de la substitution et du déplacement. Ainsi, Freud dans sa Traümdeutung déploie la logique des rêves en insistant sur le point central : « Le rêve est la réalisation d’un désir ». Le contenu latent se substitue au contenue manifeste et déplace l’enjeu de libération espéré au départ de l’invention psychanalytique. Plutôt que de travailler sur les significations multiples du rêve dans un partage ouvert, l’interprétation freudienne s’impose en tant qu’elle serait « vérité »  : « Le rêve est la réalisation d’un désir, réalisation d’un désir de l’enfance qui relève de la sexualité infantile » La libération possible de la question désirante pour une personne  est finalement réprimée par cette contrainte freudienne de penser. Il en sera de même avec le Complexe d’ Oedipe et que toute histoire est à interpréter selon le trio « Papa, maman et moi »

Les ouvertures novatrices de Freud sont contrebalancées par ces contraintes qui relèvent de la philosophie idéaliste et de la transcendance : un principe est posé à la fois comme source de toute explication et comme réalité supérieure. Le désir est à la fois ravalé et élevé au rang de pure représentation psychique. 

Une autre façon de prendre la question posée par Freud est celle de Wilhem Reich qui est sans doute le premier à faire lien entre la libido et le social. Ce lien cependant maintient une séparation entre le désir, la représentation psychique et le social : il y a deux entités différentes et séparées. Avec le concept de transfert social nous abolissons cette barrière pour énoncer : il y a un transfert de la vie sociale dans le mental, et nous avons souligné comment ce terme de transfert portait une valeur de connexion et de mouvement qui ôtait l’idée d’entités séparées (1)

Dans l’ « Anti-Oedipe », Deleuze et Guattari dans la même veine parlent de désir social, de production désirante. Il y a un refus clair de confiner le désir à la sphère privée et de faire flux continu entre le champ du désir te le champ social. 

Mais c’est  un autre point de réflexion contenu dans l’ « Anti-Oedipe » qui est peut être le plus important pour saisir les changements possibles dans les pratiques transférentielles et que nous avions déjà mentionné dans notre atelier de psychanalyse sociale en 2018 sur le fétichisme. Ils soulignent un point essentiel par rapport à notre travail sur la religion du Désir. Ils indiquent que pour la psychanalyse, désir et manque font tandem : « le manque crée le désir »,« le manque est le moteur du désir » sont des formules bien connues qui orientent la pratique de transfert et nous avions noté en 2018 la filiation entre le concept de manque combiné chez Freud au phallus, le fétichisme et la conception lacanienne des psychoses. Cela explique grandement comment cette dernière conception est aliénante et favorise la politique de santé ségrégative en psychiatrie en imposant une conception déficitaire de l’humain. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les formules « le manque crée le désir »,« le manque est le moteur du désir » n’ont pas comme unique fonction de faire briller dans les salons psychanalytiques ou philosophiques, ils servent aussi une politique ségrégative. La religion du Désir et la religion du Manque font couple pour le pire. 

Ce repère commun avec Deleuze ne s’appuie pas sur les mêmes bases. Nous avons développé l’outil du transfert social, du transfert de valeurs en partant de Marx et du primat de la pratique sociale. Deleuze part pour la question du désir en lisant Spinoza auquel il consacrera deux grandes études, « Spinoza et le problème de l’expression » (1968) et « Spinoza, philosophie pratique » (1970). Nous souhaitons souligner ainsi que le refus de connecter désir et manque se trouve déjà chez Spinoza qui va à l’encontre des traditions religieuses et philosophiques. Il évoque clairement une fonction positive du désir et considère ce désir comme le moteur de la vie. Cela n’est pas sans lien avec les expressions de production désirante. Nous utilisons fréquemment le terme de « production » également mais pour le rapporter plus facilement au mode de production lié au matérialisme historique, à l’histoire. C’est dans ce contexte que nous avons créé le transfert de valeurs, Wertübertragung pris à Marx, que nous trouvons plus scientifique, outil logique, que les flux ou territoires deleuziens. De même si nous considérons l’importance du désir dans les conditions humaines, nous le raccordons à ce transfert de valeur, au rapport de valeur. Autre différence importante la maxime de Spinoza dans l’Ethique : « le désir est l’essence de l’homme » anime le principe d’un désir omnipotent dans la vie sociale, toute situation devenant configuration désirante chez Deleuze et Guattari. Nous travaillons quant à nous avec la VIème thèse de Marx adressée à Feuerbach largement commentée dans notre travail : « Feuerbach résout l'essence religieuse en l'essence humaine. Mais l'essence de l'homme n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » Et nous insistons sur le rapport de valeurs comme base dynamique à partir de laquelle se connecte notamment mais non exclusivement la condition désirante.


Hervé Hubert


Illustration : ©Fernand Leger



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